Je suis en grève
Ce n'est pas que ça m'amuse. Je ne suis pas une étudiante, flemmarde, fêtarde, claquant l'argent par les fenêtres, choisissant de faire grève pour le plaisir de prolonger ses vacances, une gamine tête en l'air et inconsciente des "réalités de la vie". Au contraire. Si j'ai choisi de faire grève, si j'ai voté pour la grève, si j'ai manifesté et si je manifesterai encore, c'est parce que je suis consciente, douloureusement consciente presque, de ces réalités.
Pourquoi faire grève ? Parce que l'université est en danger, que la recherche est en danger, que l'enseignement est en danger, et que puisque l'école de nos enfants est en danger, c'est la République elle-même qui le sera à terme, car l'école forme les futures citoyennes et les futurs citoyens, elle forme des hommes et des femmes libres, qui seront le monde de demain.
Quel danger ? La grève décidée actuellement par les Universités de France a plusieurs causes, liées entre elles puisque'il s'agit de réformes décidées arbitrairement par notre gouvernement et notre omniprésident. Il y a en particulier la remise en cause du statut des enseignants chercheurs, et - conséquence de la loi sur l'autonomie des universités, à laquelle je suis toujours opposée et dont j'espère l'abrogation - la remise en cause des personnels administratifs et non enseignants de la fac. Il y a aussi, et cela me touche directement, ce que l'on appelle la "masterisation" de la formation des maîtres.
On aurait pu croire que c'était une bonne idée. Après tout, je suis tout à fait pour que l'on reconnaisse qu'il faut cinq ans avant d'enseigner et donc que l'on soit payé comme des bac+5. Actuellement, pour ceux qui ne sont pas familiers de ces formations, il faut avoir une licence (3 ans), puis une première année de master en IUFM, puis passer le Capes (et être admis). Suit une année de stage et d'enseignement théorique post-concours donc, plaçant le futur enseignant dans une classe, sous la responsabilité d'un tuteur pour environ six heures de cours par semaine (sachant que en même temps que l'on enseigne, on suit une formation). Au bout de cette année de stage - rémunérée (à la louche vers 1200/1300€ mois) - on devient fonctionnaire titulaire.
La réforme visait - en théorie - à accorder une plus grand place à la pratique. Et là - tenez-vous bien, ce n'est pas une plaisanterie - on commence par supprimer l'année de stage ! Désormais, au lieu de faire 4 ans avant le concours (considéré comme bac+3 car la première année de master ne donne aucun diplôme) plus un an de formation après, on est prié de suivre un "master en enseignement" (vous ne savez pas ce que c'est ? ça tombe bien, personne ne le sait), pendant que l'on passe le concours.
Autrement dit vous devez : suivre les cours de master et travailler pour le mémoire (travail à temps plein), et préparer les concours en même temps. Ah oui, comme il y a quand même des stages de prévus, par tranche d'une semaine, ils auront lieu entre février et mai. Vous ne rêvez pas, c'est effectivement pile entre les écrits et les oraux du concours... C'est sûr que la concentration sera à son maximum durant le stage... et de toute façon les tuteurs de stage - qui ne seront plus déchargés de leurs classes pendant ce temps - pourront faire preuve de leurs pouvoirs magiques : ben oui, ils sont censés vous guider, dire ce qui va et ce qui ne va pas, apprendre à "tenir" une classe, mais désormais, ils ne sont même pas forcés d'appartenir au même établissement... Développement des boules de cristal...
Quatre possibilités s'offrent maintenant :
1/ Vous ratez le mémoire et le concours : pas de chance, vous êtes trop nul, vous ne pouvez pas enseigner. retentez votre chance (ne passez pas par la case départ, ne recevez pas 20 000... ah bon je m'égare ?)
2/Vous réussissez le mémoire et le concours : bravo, vous avez prouvé que vous êtes au moins l'égal de Robocop ! J'espère que vous n'avez pas peur de vous retrouver directement lâché dans des classes, parce que vous n'aurez pas d'autre formation. Ah oui, ce sera vraisemblablement en ZEP au fait, parce que c'est là qu'atterrissent la plupart des jeunes profs. mais ne vous inquiétez pas, si des personnels formés échouent beaucoup en banlieue, vous, vous règlerez miraculeusement tous les problèmes. Après tout vous êtes Robocop, ne l'oubliez pas.
3/Vous ratez le mémoire mais vous réussissez le concours : bien tenté, mais c'est raté. Comment ça vous êtes arrivé premier au capes ? Ben c'est possible, mais vous n'avez droit à rien. Absolument rien. Vous auriez mieux fait de tout rater, au moins vous auriez su pourquoi pleurer...
4/Vous réussissez le mémoire mais ratez le concours : ah, en voilà un ca intéressant ! De toute façon, les places au concours se réduisent, donc vous serez de plus en plus nombreux dans cette catégorie. Votre échec au concours prouve que vous ne pouvez pas enseigner ? Mais pas du tout voyons, il dit juste que vous ne serez jamais fonctionnaire ! Vous avez parfaitement le droit d'être exploité employé par l'Education Nationale ! A titre de vacataire évidemment. Payé le smic, tout aussi évidemment. Ah oui j'oubliais, en CDD hein ? De septembre à juin seulement. Reconductible selon la bonne volonté des chefs d'établissement, transformés en chefs d'entreprise... Comment ça vous avez une licence d'économie ? Mais non, ça ne pose pas de problèmes pour être enseignant en CP, on vous le jure ! De toute façon, les élèves difficiles n'existent plus depuis la suppression des RASED tout le monde le sait.
Des choses à dire sur les réformes j'en ai encore plein. Mais je crains, tant la colère - oui, la colère ! car nous ne sommes pas des animaux qui grognent quand on leur pique leur os mais des Êtres Humains lucides et rationnels qui commettent l'erreur de croire en l'Humanité - tant la colère donc m'étouffe, que ma plume trempée dans l'acide ne soit plus sanglante et incisive que ne le voudrait la part de moi qui croit encore que l'Harmonie est possible.
Vous tous, enseignants, étudiants, parents, futurs parents, citoyens. Vous tous, enfants de la République, entendez mon appel. Car nous lutterons main dans la main, enseignants-chercheurs, personnels, étudiants. Oui, nous lutterons, car nous croyons qu'un avenir est possible.
Si vous refusez d'entendre les cris d'agonie de la Culture, si l'indifférence vous étreint, si vous laissez faire maintenant que vous savez, je porte à votre connaissance une autre information capitale : les seules décors dont désormais nous aurons besoin, ce sont des chrysanthèmes.
Pourquoi faire grève ? Parce que l'université est en danger, que la recherche est en danger, que l'enseignement est en danger, et que puisque l'école de nos enfants est en danger, c'est la République elle-même qui le sera à terme, car l'école forme les futures citoyennes et les futurs citoyens, elle forme des hommes et des femmes libres, qui seront le monde de demain.
Quel danger ? La grève décidée actuellement par les Universités de France a plusieurs causes, liées entre elles puisque'il s'agit de réformes décidées arbitrairement par notre gouvernement et notre omniprésident. Il y a en particulier la remise en cause du statut des enseignants chercheurs, et - conséquence de la loi sur l'autonomie des universités, à laquelle je suis toujours opposée et dont j'espère l'abrogation - la remise en cause des personnels administratifs et non enseignants de la fac. Il y a aussi, et cela me touche directement, ce que l'on appelle la "masterisation" de la formation des maîtres.
On aurait pu croire que c'était une bonne idée. Après tout, je suis tout à fait pour que l'on reconnaisse qu'il faut cinq ans avant d'enseigner et donc que l'on soit payé comme des bac+5. Actuellement, pour ceux qui ne sont pas familiers de ces formations, il faut avoir une licence (3 ans), puis une première année de master en IUFM, puis passer le Capes (et être admis). Suit une année de stage et d'enseignement théorique post-concours donc, plaçant le futur enseignant dans une classe, sous la responsabilité d'un tuteur pour environ six heures de cours par semaine (sachant que en même temps que l'on enseigne, on suit une formation). Au bout de cette année de stage - rémunérée (à la louche vers 1200/1300€ mois) - on devient fonctionnaire titulaire.
La réforme visait - en théorie - à accorder une plus grand place à la pratique. Et là - tenez-vous bien, ce n'est pas une plaisanterie - on commence par supprimer l'année de stage ! Désormais, au lieu de faire 4 ans avant le concours (considéré comme bac+3 car la première année de master ne donne aucun diplôme) plus un an de formation après, on est prié de suivre un "master en enseignement" (vous ne savez pas ce que c'est ? ça tombe bien, personne ne le sait), pendant que l'on passe le concours.
Autrement dit vous devez : suivre les cours de master et travailler pour le mémoire (travail à temps plein), et préparer les concours en même temps. Ah oui, comme il y a quand même des stages de prévus, par tranche d'une semaine, ils auront lieu entre février et mai. Vous ne rêvez pas, c'est effectivement pile entre les écrits et les oraux du concours... C'est sûr que la concentration sera à son maximum durant le stage... et de toute façon les tuteurs de stage - qui ne seront plus déchargés de leurs classes pendant ce temps - pourront faire preuve de leurs pouvoirs magiques : ben oui, ils sont censés vous guider, dire ce qui va et ce qui ne va pas, apprendre à "tenir" une classe, mais désormais, ils ne sont même pas forcés d'appartenir au même établissement... Développement des boules de cristal...
Quatre possibilités s'offrent maintenant :
1/ Vous ratez le mémoire et le concours : pas de chance, vous êtes trop nul, vous ne pouvez pas enseigner. retentez votre chance (ne passez pas par la case départ, ne recevez pas 20 000... ah bon je m'égare ?)
2/Vous réussissez le mémoire et le concours : bravo, vous avez prouvé que vous êtes au moins l'égal de Robocop ! J'espère que vous n'avez pas peur de vous retrouver directement lâché dans des classes, parce que vous n'aurez pas d'autre formation. Ah oui, ce sera vraisemblablement en ZEP au fait, parce que c'est là qu'atterrissent la plupart des jeunes profs. mais ne vous inquiétez pas, si des personnels formés échouent beaucoup en banlieue, vous, vous règlerez miraculeusement tous les problèmes. Après tout vous êtes Robocop, ne l'oubliez pas.
3/Vous ratez le mémoire mais vous réussissez le concours : bien tenté, mais c'est raté. Comment ça vous êtes arrivé premier au capes ? Ben c'est possible, mais vous n'avez droit à rien. Absolument rien. Vous auriez mieux fait de tout rater, au moins vous auriez su pourquoi pleurer...
4/Vous réussissez le mémoire mais ratez le concours : ah, en voilà un ca intéressant ! De toute façon, les places au concours se réduisent, donc vous serez de plus en plus nombreux dans cette catégorie. Votre échec au concours prouve que vous ne pouvez pas enseigner ? Mais pas du tout voyons, il dit juste que vous ne serez jamais fonctionnaire ! Vous avez parfaitement le droit d'être exploité employé par l'Education Nationale ! A titre de vacataire évidemment. Payé le smic, tout aussi évidemment. Ah oui j'oubliais, en CDD hein ? De septembre à juin seulement. Reconductible selon la bonne volonté des chefs d'établissement, transformés en chefs d'entreprise... Comment ça vous avez une licence d'économie ? Mais non, ça ne pose pas de problèmes pour être enseignant en CP, on vous le jure ! De toute façon, les élèves difficiles n'existent plus depuis la suppression des RASED tout le monde le sait.
Des choses à dire sur les réformes j'en ai encore plein. Mais je crains, tant la colère - oui, la colère ! car nous ne sommes pas des animaux qui grognent quand on leur pique leur os mais des Êtres Humains lucides et rationnels qui commettent l'erreur de croire en l'Humanité - tant la colère donc m'étouffe, que ma plume trempée dans l'acide ne soit plus sanglante et incisive que ne le voudrait la part de moi qui croit encore que l'Harmonie est possible.
Vous tous, enseignants, étudiants, parents, futurs parents, citoyens. Vous tous, enfants de la République, entendez mon appel. Car nous lutterons main dans la main, enseignants-chercheurs, personnels, étudiants. Oui, nous lutterons, car nous croyons qu'un avenir est possible.
Si vous refusez d'entendre les cris d'agonie de la Culture, si l'indifférence vous étreint, si vous laissez faire maintenant que vous savez, je porte à votre connaissance une autre information capitale : les seules décors dont désormais nous aurons besoin, ce sont des chrysanthèmes.